Rebétiko : l'âme de la musique grecque

musique grecque, rebetiko dans la rue à Amorgos en Grèce
Dans les rues de Lagkada à Amorgos © Virginie W.

Le rebétiko, qualifié parfois de « blues grec », est plus qu’un genre musical populaire en Grèce mêlant chant, danse et bouzouki. C’est une façon de vivre et d’aimer, une révolte, un chagrin profond face à l’injustice, un code d’honneur même ! Longtemps réservé aux classes populaires dont il émane, le rebétiko est aujourd’hui considéré comme le fondement et l’âme de la musique grecque.

Une musique née dans les bas-fonds des villes

Ce genre musical s’est développé dans les quartiers populaires des grandes villes grecques, au port du Pirée et même dans les prisons ! Il est devenu un style à part entière à partir des années 1920, lorsque les grecs d’Asie Mineure sont arrivés sur le continent, après la dernière grande guerre entre la Grèce et la Turquie.

Ces réfugiés, installés dans des baraquements de fortune sur les no man’s land des villes, ont apporté leur propre musique, imprégnée de sonorités orientales et byzantines. Ils y ont fréquenté d’autres musiciens, immigrés intérieurs, venant des îles ou des villages du continent. C’est ainsi que le rébétiko est né, une fusion de la musique locale et orientale, une sous-culture dans les parties les plus pauvres des villes grecques !

Le rébétiko, musique de marginaux, musique marginalisée

bouzouki, danse et chant, soirée rebetiko en Grèce
© Greek Ministry of Culture and Sports, 2016

Avant même de désigner une musique, le rebetiko était synonyme d’une attitude, un mode de vie : on appelait « rébétis » un déclassé de la société, un bagarreur, un drogué, un exclu. Sa musique était à son image « chant, plainte et cri des esseulés, des laissés pour compte, des déshérités, mais aussi des rebelles volontaires ou des insoumis » dit Jacques Lacarrière (Dictionnaire amoureux de la Grèce, Ed. Plon).

Les thèmes traités par le rébétiko sont tout aussi sulfureux : la prison, la drogue, l’amour déçu, la mort… Bien sûr, la bonne société grecque ne peut intégrer cette population ni sa culture ; elle la relègue ainsi aux banlieues malfamées et autour des ports. Dans les années ’30, les rébétiko qui font référence à la drogue ou qui ont des sonorités trop orientales, sont interdits d’enregistrement et de diffusion à la radio. Quarante ans plus tard, sous la dictature des colonels, Elias Pétropoulos, l’écrivain qui a regroupé 1500 chansons dans la plus grande anthologie du rebétiko, a été condamné à la prison pour ne pas avoir présenté son ouvrage à la censure ! Tout un pan important de la musique grecque se trouve ainsi à la limite de l’illégalité !

La sortie de la clandestinité

A partir des années ’50, le rébétiko sort tout doucement de la marge. Une de ses plus grandes figures, Vassilis Tsitsanis est sans doute à l’origine de cette évolution : les chansons de Tsitsanis, compositeur de génie et virtuose du bouzouki, plaisent au grand public et attirent la bonne société dans les tavernes où l’on chante du rébétiko ! En même temps, les grands compositeurs de cette période, Manos Hatzidakis, Mikis Théodorakis et autres, intègrent les instruments et les sonorités de cette musique dans leur répertoire, créant ainsi un style populaire moderne mais typiquement grec.

Plus tard, dans les années ’70 et ’80, les musiciens à la recherche des sons authentiques et des racines culturelles du pays, redécouvrent les enregistrements anciens et les portent sur les scènes musicales des grandes villes.

Le rébétiko devient le genre musical à la mode, des groupes appelés « companiès » se forment autour de cette musique et rencontrent un énorme succès, notamment auprès des jeunes. Plus encore, à partir de cette période, tous les musiciens grecs sont marqués par le rebetiko et intègrent très souvent ses sons dans leurs chansons.

En 2017, l’Unesco classe le rébétiko dans le « patrimoine culturel immatériel de l’humanité », le sortant ainsi définitivement des bas-fonds !

Le voyage du rébétiko depuis le début du XXe siècle

Rebetiko, musique traditionnelle grecque.
Rébétes Piraeus Quartet – Photo Wikimedia.org – wikipediacommons
Trio joueurs et chanteuse de Rebetiko en 1930
Smyrna_Trio (1930): Lambros Leondaritis (Lyra), Rosa Eskenazi (Chanson), Agapios Tomboulis (Oud)
Photo Wikipediacommons

On distingue deux grands courants dans la première période du rébétiko :

  • Le style de Smyrne, création des réfugiés d’Asie Mineure, avec des instruments orientaux comme l’oud, le violon, la lyre et des voix féminines souvent très hautes, comme celle de la grande chanteuse Rosa Eskenazy.
  • Le style du Pirée, création principalement des musiciens des îles grecques comme le célèbre Markos Vamvakaris, caractérisé par l’usage du bouzouki et du baglamas (petit bouzouki au son très aigu) et les voix rauques des chanteurs.

Bien sûr, au fil du temps, les deux écoles se rencontrent et s’influencent mutuellement. Ce qui les relie par ailleurs, c’est la langue utilisée dans les rébétika (pluriel du rébétiko), l’argot des détenus, des marginaux ou des drogués.

Mais de quoi elles parlent ces chansons ?

pochette d'un disque de rebetiko, musique grecque Οταν Καπνιζει o Λουλας
Photo d’un disque 45 tours du rébétiko « Lorsque le nargilé fume » – Photo de Télémachos Efthimiadis – flickr.com

Pour vous donner une idée, voici quelques extraits traduits par Jacques Lacarrière :

Quand je serai mort, mettez-moi seul dans un coin

Avec mon bouzouki, ma seule consolation.

Je ne veux ni ami, ni compagnon, ni cierge

Ni que ma bien-aimée vienne pleurer sur moi.

Mais plantez-moi deux chanvres pour qu’ils me fassent de l’ombre

Et qu’ils me rafraîchissent quand le vent soufflera… 

G. Rovertakis, 1935

Quand tu viens boire à la taverne, tu t’assieds et tu ne dis mot.

Et souvent du fond de ton cœur s’échappe un douloureux soupir.

J’aimerais te parler, pouvoir te questionner,

Connaître la raison de ton profond chagrin.

Sans doute as-tu aimé et puis tu fus trompé !

Allons, viens, rejoins-nous, que nous buvions ensemble !

Tsitsanis, 1949

Et s’il y a un rébétiko que vous connaissez certainement, c’est « Misirlou », adapté en 1994 en rock instrumental par le groupe Dick Dale, pour le film de Q. Tarantino Pulp Fiction. Cette chanson, sans doute reprise d’une version orientale plus ancienne, a été chantée et enregistrée en 1927 à Athènes et à New York par Nikos Roubanis.

Le rébétiko est décidément immortel !

Où écouter du rébétiko à Athènes ?

Les endroits où l’on peut écouter du rébétiko en live, s’appellent « rébétadiko » en grec. Des tavernes proposent parfois de la musique live mais attention : tout groupe qui joue du bouzouki, ne chante pas forcément du rébético !

Aujourd’hui, dans la plupart des salles, on joue des rébétika en même temps que des chansons plus récentes, dites « laïka ». Le programme commence généralement après 21h00, parfois même vers 23h00 et on peut y dîner ou juste boire un verre.

Voici quelques bonnes adresses classiques :

To Pondiki

Le rébétadiko classique depuis plus de 30 ans !

  • vendredi, samedi et dimanche soir à partir de 22h00
  • Eptanissou 9, Kypséli, +30 2108232971

Fidiou 2

Live rebétiko et très bons mezzés

  • le mercredi et le samedi à partir de 21h00
  • au 2, rue Fidiou, Exarheia
  • réservation recommandée au +30 2103300060

To Eikosipentaràki tou Priàmou

On peut dîner et écouter de la musique. Une valeur sûre ! Mais un peu loin du centre d’Athènes

  • Rébético tous les soirs à partir de 21h30
  • en été musique à l’extérieur jusqu’à minuit ; l’hiver en salle intérieure
  • Psaron 29, Cholargos, tél. +30 2106549118

Klimataria

Restaurant qui propose du rébétiko et laïko live

  • du mardi au dimanche à 21h30 (vendredi et samedi à partir de 22h30) et vendredi, samedi et dimanche à 16h00
  • Plateia Théatrou 2, Athènes, tel.+30 2103216629

Et encore plus d’adresses sur notre article dédié à la musique live à Athènes.

Un peu de lecture ?

Si vous voulez approfondir vos connaissances sur le rébétiko, voici quelques lectures :

BD sur le rebetiko "La mauvaise herbe" de David Prudhomme
La BD de David Prudhomme, Rébétiko (La mauvaise herbe), Ed. Futuropolis

Pour tout savoir sur le rébétiko : « Aux sources du Rebetiko. Chansons des bas-fonds, des prisons, et des fumeries de haschisch. Smyrne – Le Pirée – Salonique (1920-1960) », auteur Gail Holst, Ed. Nuits Rouges

Traduction en français de rébétika : « La Grèce de l’ombre. Anthologie des chants Rebetika », chansons traduits par Jacques Lacarrière et Michel Volkovitch, Ed. Le Miel des anges

Et une BD pour plonger dans la vie des rébétès : « Rébétiko (La mauvaise herbe) », David Prudhomme, Ed. Futuropolis 2009

Evi S.

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